[marché, midi] Flânerie

Gakinameh se passa la langue entre deux dents. Plus filandreuse que ça, la viande séchée, ce devait être difficile à trouver. Enfin, elle valait trois fois rien et la presqu'elfe ne faisait pas la fine bouche. Aussi l'avait-elle engloutie jusqu'au dernier champignon en regardant sans grande attention l'animation d'une des rues du marché aux légumes depuis l'encadrement d'une fenêtre ombragée. Cette cité, elle l'avait vu grandir, elle avait d'ailleurs maintes fois oeuvré dans les équipes de construction, mais elle restait éberluée - du moins dans la mesure de l'intérêt qu'elle portait à la chose - de voir à quel point en quelques poignées d'années un marché sous le soleil de midi se mettait à ressembler à un marché sous le soleil de midi, un quartier chic à un quartier chic et un quartier pauvre à un trou à rat.

Sans hâte, elle reconsidéra une dernière fois les lieux, sortit de son recoin et déambula au travers de la foule, bousculant davantage qu'elle ne se faisait bousculer, mais pas trop. Elle profitait de l'avantage que lui donnait sa carrure sans exagération. Les petits plaisirs prudents de chaque instant... Et au cas où un ancien petit contrat rancunier l'aurait reconnue - ce dont elle doutait très fortement, mais qui lui était déjà arrivé une ou deux fois - elle gardait sa masse d'armes à portée de main, dissimulée sous sa cape grisâtre. Cela l'aurait doublement embêtée d'avoir à se battre à la régulière et en pleine rue, mais à choisir, mieux valait finir en prison que dans une fosse commune. Non qu'elle ait quoi que ce soit contre la communauté ou l'ombre d'une caverne, mais elle possédait certaines opinions inébranlables sur certains sujets, notamment le prix de la vie des autres et le fait que la sienne n'en avait pas. Très discrètement et en cachant son sourire, elle poussa de la hanche un panier qui appuyait sur le dos d'une grand'mère. Manque de chance, l'ancienne ne s'affala pas sur l'étal de tomates. La prochaine fois, elle lui collerait une beigne, voir si elle résistait de la même façon. Quoique la presqu'elfe se demandait ce qu'elle aurait fait si ça avait été le cas. On faisait des rencontres surprenantes, parfois.

Trêve de facéties, elle avait soif. Or, si elle avait bien vu, il y avait par là une gargote ambulante. Continuant à forcer le passage, elle s'approcha et plaqua sur le comptoir une demi-poignée allégée de piécettes en requérant un rafraîchissement. Ce qu'elle ne fit pas en ces termes-là, bien entendu. Enfin, en dépit de ce qu'on voudra, elle était tout de même partiellement elfe.

Novice Nombre de messages : 9 Date d'inscription : 15/05/2009

Tapie dans un recoin sombre, attentive à tout ce qui l’entourait, une ombre guettait. Bien que les chances de voir l’un de ses frères en plein jour soient presque nulles, la créature des ténèbres s’aventurait quand même parmi les autres races. Bien engoncée dans sa cape noire, qui avait vu des jours meilleurs, et le visage camouflé par un foulard de même couleur, le guetteur était protégé des morsures du soleil. Mais alors qu’il allait partir, un mouvement furtif proche d’un étal de tomate le fit s’arrêter. La vivacité du mouvement, tout en étant très bien camouflé, fit naitre un léger sourire sur ses lèvres, qui fut rapidement remplacé par une habituelle expression détachée. Un mouvement digne d’une créature de l’ombre. Soucieux de glaner des renseignements quant à un étrange oiseau sombre évoluant dans la Lumière, la silhouette sombre se mit en mouvement. Traversant vivement la foule, évoluant dans l’ombre des étals ainsi que celle des passants, le tout en se fondant dans la foule, le jeune vampire se rapprochait de l’inconnu auquel il s’intéressait.

A quelques pas de sa cible, il ralentit le pas. Tout en continuant d’avancer, il dépassa sa proie, et jeta furtivement un regard pour savoir à qui il avait affaire. D’après les trainées chitineuses et les oreilles pointues, il pouvait aisément savoir qu’elle était un hybride des races elfique et céraste. Mais ce qui attira le plus l’attention, c’est son œil gauche. Ce dernier avait un iris fragmenté, chose que Garret n’avait encore jamais vue. Continuant d’avancer, le jeune vampire se dit qu’il pourrait peut être en savoir tenter d’en savoir plus sur cette personne, mais d’une manière plus directe. Contrairement aux autres races, les individus d’origine Céraste ont eut aussi, à l’époque, été considéré comme des être malfaisants. Peut-être cette personne serait plus à même de discuter avec un vampire plutôt que de vouloir l’éliminer sur le champ. Mais néanmoins, l’ombre ne se départirait pas de sa prudence. Il ne dévoilerait pas sa filiation.

Ayant repéré un coin sombre, sur le chemin emprunté par sa future interlocutrice, la silhouette sombre s’y camoufla. S’assurant que ni sa cape, ni son foulard n’ayant bougé, ce qui lui prodiguait l’assurance que l’on ne puisse découvrir sa nature vampirique, Garret attendit. Pour plus de sureté, il saisit sa lame courte et s’entailla légèrement le bras. Tout en récitant tout bas une courte prière au Géniteur, Az, il modela son sang un en dizaines d’araignées minuscules auxquelles il ordonna de se disperser et de se cacher dans la foule. Si son entrevue tournait mal, ces dernières attaqueraient les passants au hasard, provoquant la panique durant laquelle il pourrait facilement s’esquiver. Ses préparatifs finis, il garda quand même son épée courte dans la manche, prêt à s’en servir si le besoin s’en faisait sentir. Garret attendit, et quand la Céraste Elfe passa près de lui, il commença à lui parler doucement, pour que nul autre ne puisse surprendre leur conversation.

"Un autre corbeau nocturne vole en ces lieux. Bien que le plumage de ce dernier se soit paré des couleurs de la Lumière, il reste néanmoins une créature de l’Ombre. Qu’ont ces lieux pour qu’un oiseau de nuit rode tel une chouette, prête à fondre sur sa proie ?"

Vingt ans plus tôt, face à la même situation, Gakinameh aurait cogné à la volée sans réfléchir plus que ça : un humanoïde intégralement drapé de noir qui utilise des tournures de phrase compliquées, ça respire à plein nez le chasseur de primes, le puritain purificateur exacerbé, le Bras Armé de La Lumière Etincelante ou je-ne-sais quel autre trouble-fête illuminé. Trouble-vie, pour mieux dire. Ou au pire le détraqué du choufleur, dont l'élimination aurait été regrettable sans être pour autant une grande perte. Ca faisait globalement partie de cette catégorie de gens qui gêne mais qui ne peut pas être véritablement considéré comme une plaie, qu'on se refuserait à purger soi-même mais dont on serait bien content (sans l'avouer, bien entendu) que quelqu'un d'autre s'occupe, surtout que ça donnerait un bon coupable pour prendre de grands airs et une mimique scandalisée. Les formidables ressources de l'hypocrisie. Aussi mondiales que l'argent et la violence. Enfin.
Sauf que l'exil avait franchement changé la donne en matière de considérations inter-raciales. Du coup... si la presqu'elfe avait été du genre à se poser des questions, elle se serait demandé si c'était une blague, une menace ou un employeur éventuel. Dans un mauvais jour, elle se serait cantonnée à se demander s'il valait mieux cogner à la tête ou au flanc, même si de toute manière, elle cognait principalement sur ce qui passait en premier dans la trajectoire de ses armes. Cela dit, dans des situations où l'information principale était "j'ai soif, kessim'veut çui-là ?", Gakinameh était plutôt du genre à suivre le cours de la situation sans s'embêter avec de vagues considérations stratégiques. Il suffisait de reconnaître quand était le bon moment pour taper ou conclure un contrat.

Bref, en un regard elle s'était fait une idée de son interlocuteur : un humanoïde masculin qui devait bigrement vouloir rester incognito pour se couvrir intégralement d'étoffe noire. Sauf les yeux, évidemment, mais ça compte pas pareil. Qui ne montrait pas ses mains. Et qui ne devait pas être du genre à manier la hache double. Diantre. C'était plus simple avec les manieurs de hache double. Les magiciens, les tricoteurs de dague, les lettrés et autres gens compliqués lui donnaient parfois des maux de tête redoutables. Les barbares se contentaient d'un "oui-arrrgh !" parfois ponctué de "par la tempête" ou "je te tuerai, chienne", autre concept très basique et jusqu'à présent vain, alors que les autres tentaient toujours de marchander, de badiner et de bricoler des arabesques oratoires incompréhensibles, même après plusieurs mètres de fil métallique porté au rouge. C'était dur de travailler dans de telles conditions. Heureusement, la persévérance vient à bout de bien des difficultés. Quelques outils astucieusement choisis aussi.

Quoi qu'il en soit, Gakinameh, dans un seul et même mouvement, rangea les piécettes qu'elle avait pris de sa ceinture et appuya sa main sur son flanc, faisant innocemment basculer la tête de sa masse d'armes vers le bas. Ehem, ô coïncidence. Au cas où ça tournerait mal, elle n'aurait qu'à déplier son bras et porter son coup. Simple précaution d'usage, décrite dans le manuel, page 12. Elle fit également en sorte de cacher son expression de déception (soif, quoi !) et de prendre un air... au moins poliment intéressé.

" Si vous posiez véritablement la question, je vous le confirme, je suis bien une céraste. Et j'avais dans l'idée, en toute simplicité, d'aller me désaltérer à la cambuse qui se trouve à quelques pas de nous avant d'aller baguenauder dans les rues passantes du quartier. Animation, boisson bon marché, c'était ce que je cherchais, mais si vous êtes davantage accoutumé à des lieux plus opulents, j'accepte de réfréner ma soif jusqu'à cet aimable comptoir qui propose ces liqueurs si colorées, dans la rue des Cordiers. "

La presqu'elfe avait un air parfaitement honnête. Ce n'était pas difficile, puisqu'il ne s'agissait nullement d'imitation et qu'elle était véritablement sincère. Elle était même aimable. Juste au cas où cet étranger lui aurait payé à boire. Quant à son vocabulaire... elle maîtrisait les mots qu'elle utilisait et les alignait sans effort, mais très visiblement, elle aurait pu dire " 'rdel j'serais déjà en train d'm'en mettre une 'taing d'fraîche une derrièr' le col si vous m'aviez pas arrêtée, sinon j'allais juste faire un tour " avec le même naturel et sans scrupule. Les métaphores n'étaient pas de grandes amies, mais elle savait causer correct. Elle avait juste oublié que l'étranger avait parlé doucement, et avait répondu sur le ton de la conversation et sans se cacher.